lundi 17 décembre 2007

de l'hélicon...

Dites du mal de la psychanalyse, il en restera toujours quelque chose...


Jusqu'au bout j'ai lu "L'élégance du hérisson";, second "roman" (?) de Muriel Barbery

Ayant récupéré tout le calme nécessaire pour en parler sans excès inutile je dirai que ce livre est un bel exemple de ce que n'est pas (ou ne devrait jamais être) la littérature : un gâchis hâtif de talent.

N'ayant pas lu le précédent récit de M. Barbery, je ne puis que supposer qu'elle a été victime d'un succès trop facile, trop précoce ?

Je n'ai jamais donné ( dans des supports publics) dans la critique négative, féroce ou pas et si j'écris ce billet c'est parce que j'avais d'abord été séduit par une certaine fraîcheur d'écriture chez cet encore jeune auteur et que je l'avais conseillé à quelques amis.C'est donc afin d'amender un avis d'abord favorable.

Au fil des pages les soupçons se sont transformés en certitudes. Cet écrivant, sans doute doué, accumule les travers. Comme si l'inspiration venait à défaillir, le texte vient à hésiter entre le conte philosophique, le roman ou l'essai. D'un pas désormais malhabile l'intrigue déambule, enfant aux premiers temps de la marche ou homme ennivré, c'est comme l'on voudra.

Le plus grave est sans doute d'utiliser sans précaution un style précieux aussi inutile qu'inadapté. Afin de souligner le contraste entre l'apparence du personnage principal et les trésors de délicatesse qu'il recèle l'auteur a choisi de lui faire tenir des propos recherchés, un tantinet maniérés. Le procédé d'abord comique devient vite très indigeste.

Le second travers est de verser dans le moratoire moral le plus accablant : "Tous des cons et des salauds sauf moi et ceux que j'aime". Il y a du Robespierre dans ces harangues contre la connerie. Et c'est ainsi que de la sympathique critique nous glissons vers le réquisitoire.

Le troisième est d'avoir complètement bâclé les personnages principaux qui, du coup, naviguent, effigies inconsistantes, dans des limbes narratives aussi improbables qu'eux.

Quel génie de conteur n'aurait-il pas fallu, d'ailleurs, pour dresser en si peu de pages une intrigue acceptable entre des personnages si nombreux. Reconnaissons une aisance à imaginer qui n'est cependant rien sans le travail nécessaire à l'incarnation crédible.

Le quatrième est d'avoir abusé jusqu'à l'impudeur du terme "intelligent", gaucherie que je retrouve, hélas, dans un petit essai où il est plus logique mais pas pour autant excusable : "La bêtise s'améliore" de C. Cannone dont j'avais beaucoup apprécié les propos sur FQ. Dommage.

Muriel Barbery s'est crue obligée de multiplier les charges contre la psychanalyse au travers des mœurs qui justement n'ont pas grand chose à voir avec elle. Si ce n'était si banal il serait presque comique de constater qu'une si ardente recherche d'originalité sombre dans une critique aussi niaise, caricaturale que banale.
La justesse des remarques plutôt acides faites l' encontre d'un praticien pervers enlisé dans son confort, ont le très grave inconvénient de valoir comme des généralisations abusives comme celles sur lesquelles s'est écrit le bien trop fameux livre noir.

Je crains que ce ne soit l'une des raisons de son succès ....

Bref je suis sidéré que "Le prix des libraires " ait été accordé à un ouvrage aussi mauvais.

Alain Dufour

dimanche 16 décembre 2007

tuba basse

Le Noël du père. (conte)

À toutes celles

et tous ceux

qui m'ont raconté des histoires,

à commencer par ma mère.

Et à Romane,

avec ses jumelles

en bouteilles de lait.


Il était une fois un petit Noël dont le père louchait et avait de très grandes dents. Tous ses copains à l'école se fichaient d'eux, vous pensez bien. « Tu as ta louche, Noël », qu'ils lui glissaient quand son père venait le chercher devant la porte. « Ratiche Lapin est venu chercher son petit Noël », qu'ils disaient dès qu'il se mettait à neiger. En effet comme si ça ne suffisait pas d'avoir de grandes dents, (ce qu'ils avaient tous plus ou moins dans la famille Lapin), les Lapin s'appelaient Lapin, alors avec les ratiches, on ne les loupait pas non plus. Comme si s'appeler Lapin vous montait aux dents! Et ça y allait, « Monsieur Karott, où as-tu mis tes fanes ? », -dès qu'il se faisait couper les cheveux.



Bon, ça allait comme ça allait, on avait l'habitude chez les Lapin de mettre son anxiété en cage et le petit Noël à son papa ne se mettait pas en colère. Il pensait que ça s'arrangerait au collège, ce en quoi il se trompait lourdement, juste les thèmes qui avaient changé. Après que le professeur de français leur eut fait lire « le passe-muraille » de Marcel Aymé, ils le charriaient en lui glissant « garenne, garenne, poil de laine », chaque fois qu'il rentrait dans une classe ou qu'il en sortait. Enfin bref le petit Noël en avait quand même marre, il cherchait sa voie.



Un soir de décembre alors qu'il faisait ses achats avec son papounet, qui s'était laissé pousser la barbe et s'habillait en rouge pour qu'on ne le remarque pas, alors qu'ils étaient tous les deux déjà bien chargés, les bras pleins de cadeaux, le petit Noël devenu un peu grand laissa son papa cinq minutes à la porte d'un magasin pour aller chercher le dernier cadeau, le cadeau de Noël à son papa.





Le papa de Noël il était harassé, heureusement, il y avait une chaise devant le magasin, alors, il s'assied avec ses cadeaux dans leurs sachets platiques qu'il pose par terre, enfin sur le goudron, quoi. Et là, ni une ni deux, un tout petit enfant très pauvre mais bien propre et mignon parce que ses parents l'aimaient bien, le voit, il ne parlait pas très bien encore, il reconnaît le père caché sous la barbe et ses habits rouge homard, et crie en le montrant du doigt, « papa Noël, père Noël! ». Monsieur Lapin qui s'appelait Marcel, Marcel Lapin, très embêté, déjà tout rouge dans ses habits rouge homard rougit encore dans sa barbe blanche, attrappe le petit Nicolas, (eh oui, c'était le petit Nicolas de Sempé, ce n'est pas tellement vieux cette histoire), il le pose sur ses genoux, plonge la main dans un sac plastique, saisit un paquet et le lui refile en disant « tiens, tiens, prend ça », il lui donne un cadeau, peut-être pas le plus beau mais enfin un cadeau pas mal, quand même.


Et le petit gars, là, tout content, regarde sa mère qui lui sourit, regarde son père qui rigole franchement, regarde le père de Noël, lui encore très rouge mais se croyant tiré d'affaire, mais c'est là que le petit Nicolas et ses parents se mettent à crier pas du tout discrètement, « Merci, père de Noël, merci papa d'Noël ! ». Et puis voilà, vous connaissez la suite : il y a un gars à côté d'eux qui s'en mêle et qui commence à chanter « petit papa d'Noël, quand tu descendras du ciel », complètement à côté de ses pompes.


Et bien voilà, vous connaissez maintenent toute l'histoire de Noël, comment ça a commencé toute cette folie au milieu de la fête des Lumières. Ce fut le premier Noël du père de Noël. Et quand Noël sortit enfin du magasin, tout le monde s'exclama, « Noël, c'est Noël, on va acheter un Lapin de Noël ! ». Comme dit LLV, voili voilà.


Didier Kuntz

15/12/07

mardi 11 décembre 2007

anthologie de la psychanalyse buvard-desencre n°1 cover

l'anthologie de la psychanalyse n° 1 de Buvard & Désencré est diponible!

chers amis,

l'anthologie de la psychanalyse n° 1 de Buvard & Désencré est diponible!

on peut la voir à cette adresse

http://www.lulu.com/content/1661836

la table des matières se trouve en quatrième de couverture

j'en ai commandé cinq exemplaires parce que malheureusement... et je les aurais je pense dans trois semaines; vous verrez, c'est un joli format, 21.56 x 21.56 cm; le même que celui de l'essentiel underground papers, qui est cher parce qu'en couleur et deux fois le nombre de pages; alors que là c'est en noir et blanc, 88 pages, ce qui explique le prix vraiment plancher; offrez les à vos amis comme je compte le faire, si l'initiative du papier vous plaît... Le blog continue de toutes façons... Je pense que c'est avec ce genre de choses qu'on arrivera à inscrire la psychanalyse autrement dans la culture d'aujourd'hui... Un pas de côté vers la luxure?

Bien à vous tous,

Didier

encore une production des éditions des branas!

ps: pour ceux qui n'ont pas encore écrit chez Buvard & Désencré, c'est un appel du pied, mais enfin, mais enfin, vous croyez que ça va être Noël si c'est pas Byzance pendant la fête des Lumières?

lundi 10 décembre 2007

urbain



dimanche 9 décembre 2007

Le lieu se prêtait à la découverte.

Le lieu se prêtait à la découverte.

Une pièce assez modeste dont l'unique et haute fenêtre s'ouvre sur le ciel. C'est le 20° étage d'une tour en plein Paris.

J'aimais, j'étais aimé.

A ce moment de la matinée je lisais, studieux, un texte psychanalytique, probablement un séminaire de Jacques Lacan, peut-être bien, "Le désir et son interprétation" . J'étais seul dans l'appartement.

Mon amie m'avait un peu entrouvert des espaces sonores que je ne connaissais pas. J'en connaissais d'ailleurs bien peu. Mais avec patience et enthousiasme elle m'avait amené à écouter des voix, le clavecin, le piano parfois. Je la suivais avec confiance, sa joie était communicative.

Cependant il m'était toujours impossible de me consacrer à l'écoute : il me fallait toujours m'occuper à autre chose, au moins savourer des pensées, je veux dire des phrases pensées. Je n'avais reçu aucune éducation musicale et dans mon enfance mes proches n'écoutaient jamais le moindre morceau. Curieux d'ailleurs puisque mon père passait pour avoir une bien jolie voix de ténor et ma mère s'amusait beaucoup à chanter Piaf, Trénet, Guy Béart , Luis Marianno, Tino Rossi etc. Chansons et pièces policières mais jamais de musique seule.

En somme la musique, si elle m'était plaisante, demeurait une sorte de parfum frivole, les senteurs légères d'une prairie, rien qui justifiât jamais le suspens de la marche. J'avançais.

Et ainsi cet matin là, je me plaisais à creuser le texte, à en labourer avec vaillance les hypothèses innombrables. Elle m'avait dit : " Tu peux mettre de la musique, tu sais" en partant au travail.

Bien installé dans le canapé je dégustais tous ces bonheurs, le ciel rare de Paris, la voix encore présente de la femme que j'aimais et l'excitation que le texte engendrait.

Tandis que le piano jouait je restais concentré sur les méandres complexes de cette pensée parlée. Mais bientôt j'éprouvais une gêne étrange et je ne parvenais plus à réfléchir.

Je conçus que c'était la musique qui m'empêchait.

Je relevais la tête, je mis le livre sur mes genoux, je reposais bloc note et stylo. Qu'était-ce que cela ?

Les notes s'égrenaient avec lenteur, comme retenues dans les mains du pianiste, qui les délivraient goutte à goutte.

J'étais gagné par un sentiment inédit, étrange: il semblait que les phrases musicales en se développant n'effaçaient pas les précédentes, mais les prolongeaient, même, chaque note semblait dotée d'une personnalité particulière. La cadence très lente d'abord montait dans une gradation d'une incroyable délicatesse.

Je crois que l'image d'une cascade m'accompagnait incessamment. Une cascade presque immobile d'abord, toute petite aussi. Et selon les flux elle grandissait, devenait immense, ses eaux blanchies allant parfois jusqu'à la fureur. Et puis de nouveau ce tintement si fragile, si sensuel, qui m'arrache encore aujourd'hui des frissons seulement en y pensant, cette pulpe des doigts effleurant le clavier avec une douceur qui me stupéfiait.

Maintenant j'étais entièrement immergé dans le son, une matière aussi épaisse et sans limites que celle de la Méditérannée de mon enfance. Les "Variations Goldberg" se succédaient et avec elles les découvertes.
Cela se produisit d'abord dans un moment assez lent : une impression très charnelle me gagna. Il me semblait que le musicien, et l'instrument s'emmêlaient non pas selon une image triviale mais vraiment comme si surgissait de l'armoire un être mythologique, un Centaure indistinct où Glenn Gould et son piano ne faisaient qu'un.

Et je ressentais la présence du piano comme celle d'une masse vivante. Puissante, dangereuse pourquoi pas ?

Un merveilleux roman, "Métro pour l'enfer" de Vladimir Volkoff , m'avait suggéré autrefois cette intrication : un violoncelliste, nouvel Orphée, dans son étreinte avec son instrument parvenait à retenir la férocité des Enfers.

Et ce que la littérature m'avait ainsi indiqué se trouvait maintenant pleinement réalisé.

Je n'ai jamais poussé assez loin les études mathématiques pour connaître l'expérience que m'ont relatée certains amis, savants chercheurs, lorsqu'ils émergent dans des domaines inexplorés. Je tends à penser que c'est quelque chose d'assez comparable que j'ai vécu ce jour là, indissolublement lié à une femme à qui je dédie ces lignes et à Bach qui me fut révélé ce jour là.

Louis Friza

dimanche 2 décembre 2007

bleu blanc rouge

Décroissance

Quand même ils ont de curieuses manières à "La décroissance". Non?
Comment veux-tu que les psy ne passent pas pour de vieux ringards si on tord leurs propos ainsi sans les prévenir ?

Alain

Début du message réexpédié :
De : Alain Dufour
Date : 2 décembre 2007 10:32:00 HNEC
À : Redaction la Décroissance <redaction@ladecroissance.net>
Objet : gravitation

Chère Madame,
J'ai bien reçu le journal et je vous en remercie.
Cependant je suis amené à vous faire une remarque qui n'est pas pur pinaillage.
J'avais écrit dans l'article : "ou en assurer une gestion épicurienne, cas des plus rares et souvent compliquée d'une donnée pas commode, la perversion." qui a été remplacé par : "soit la gérer de façon épicurienne , cas plus rare et souvent aggravé par une tendance à la perversion"


Bien volontiers je vous concède que ma formule manquait de clarté et méritait d'être amendée. Cependant en indiquant "aggravé par une tendance à " vous m'imputez une idée que je n'ai pas exprimé. Vous savez bien comment certains mots sont d'un usage délicat.
Et perversion fait partie de ceux là. Néanmoins comme psychanalyste, je ne puis à cet endroit, partager l'opinion commune. Je n'ai pas dit que la perversion était plus grave que la névrose ! J'ai écrit "compliquée", ce n'est pas la même chose.
De surcroît point de vue civique et moral il est erroné de confondre perversion et canaillerie, elle toujours condamnable. Or la phrase imprimée est ambigüe à cet égard.
Bref il y aurait beaucoup à dire sur ce difficile problème et je m'excuse de ne pas avoir su trouver un énoncé plus clair. Je ne réclame aucune rectification mais simplement de me demander mon avis si, dans l'avenir, se présentait un cas analogue.
`
Je ne vous reproche rien car j'imagine simplement que vous n'avez pas mesuré l'impact de cette différence pour un professionnel. Mais vous admettrez que notre responsabilité de rédacteur est parfois très engagée dans le choix des mots et c'est bien le cas ici quand on sait à quels errements l'actualité donne lieu en matière de perversion.
Bien à vous
A. Dufour


Le 23 nov. 07 à 14:04, Redaction la Décroissance a écrit :
Bonjour,
quelle est votre adresse postale pour vous envoyer le journal ?
Sophie Divry
Le 30 oct. 07 à 18:56, Alain Dufour a écrit :
Comme le traitement de texte n'a pas fait son boulot j'ai repris les quelques lignes.
Voici donc une version amendée pour l'orthographe et la grammaire. Il n'est pas "interdit" de commettre des fautes mais quand même...
Avec mes excuses
Bonne soirée

Alain Dufour


"Jusqu'où interdire ?" est une question pleine de malice.
D'abord parce que ce à quoi nous sommes confrontés férocement aujourd'hui est bien plutôt de savoir "Jusqu'où ne PAS interdire ? " .
Cela au moins dans les contrées dont les valeurs traditionnelles sont rejetées par principe. Autrement dit une très large partie du monde occidental mais encore nombre de celles qui en suivent l'exemple.
Ensuite parce que poser la question de l'interdit convoque tant de disciplines (en vrac anthropologie, morale, religion, philosophie, éducation, justice, police, politique, grammaire, j'en passe et des meilleures) que nous sommes à peu près assurés de la plus parfaite cacophonie.
Cependant pour ne pas me défiler je tâcherai de répondre d'une place suffisamment précise : un psychanalyste ayant une longue et large fréquentation des addictions et plus particulièrement des toxicomanies. Ce qu'elle m'a enseigné est clinique, relève de l'observation et du décryptage. Cet enseignement est à la fois simple, déroutant et parfaitement en accord avec les découvertes de Freud.
Simple puisque les sujets , c'est à dire nous tous, face à une source de jouissance telle que la drogue (mais ce peut être le jeu, le travail, le sexe etc) optons pour l'une des deux solutions suivantes : en devenir l'esclave, ce qui est l'immense majorité des cas rencontrés, ou en assurer une gestion épicurienne, cas des plus rares et souvent compliquée d'une donnée pas commode, la perversion.
Déroutante puisque les personnes bien souvent raisonnables qui se sont apercues que les inconvénients l'emportaient de loin sur les satisfactions ne persistent pas moins dans leur néfaste passion.
Freud depuis longtemps avait constaté le masochisme primordial, fondamental au principe de l'activité humaine. En son temps (ce n'est plus de mise aujourd'hui) il avait caractérisé le Surmoi comme une instance, une sorte d'autorité intérieure qui venait rappeler à l'ordre, interdire voire persécuter l'individu. Et n'est-ce pas cela qui est à l'œuvre quand malgé toutes les désillusions, toutes les vicissitudes, toutes les réprimandes et sanctions, celui ou celle qui est pris dans les rêts d'une habitude ravageante persiste encore ?
La sorte de calcul, d'économie de son activité en vient peu à peu à se réduire à une répétition assommante où satisfaction, apaisement et sanction sont indissolublement liés.
Autrement dit l'absence ou la défaillance, le contournement, la transgression de l'interdit a pour résultat son intégration son « 'intériorisation » dans le jargon psychologique, et cela sous une forme particulièrement sauvage, intraitable, carnivore.
Cette configuration existe depuis toujours mais elle se trouve aujourd'hui étrangement encouragée par une injonction incessante que je me permets de traduire ainsi : « Soyez un bon citoyen, jouissez, jouissez et consommez. Achetez, travaillez, baisez...un trésor est caché ». A quoi s'ajoute une forte recommandation : « Cultivez votre originalité, soyez un « JE » majuscule, nous avons ce qu'il vous faut pour y parvenir »
Je ne sais plus qui affirmait qu'il valait mieux un mauvais maître que pas de maître du tout. Il me semble qu'il en va souvent ainsi de l'interdit. Par essence il sera bancal, insatisfaisant, il donnera lieu à des sentiments d'iniquité et suscitera la révolte mais convenons qu'il vaudra mieux que celui fomenté en lui même par un citoyen égaré ou celui que lui imposera le retour du tyran.

Alain Dufour


Alain Dufour


Alain Dufour

et éthique.

Science et éthique



Dans le cadre de la Commission programmatique ONG-UNESCO “SCIENCE ET ÉTHIQUE” (Groupe de Travail “bioéthique et génome humain) on m’a demandé de répondre à la question suivante, c’était en janvier 2000:

Selon l’expression de Mme Noëlle Lenoir, “l’homme n’est pas qu’un animal programmé par ses gènes”; que pensez-vous de l’article 2 de la DUGHDH qui stipule que “chaque individu a droit au respect de sa dignité et de ses droits quelles que soient ses caractéristiques génétiques”? Qu’entendez-vous par dignité humaine? Le respect de la dignité humaine impose-t-il que l’homme soit reconnu en tant que sujet et ne saurait être traité en tant qu’objet par la science?


Voilà l’introduction
Il n’y aura jamais de suite pour des raisons de désaccords politiques

Science, Psychanalyse et Ethique
le 01/01/2000



L’accueil d’un nouveau-né dans une société humaine est porté par des règles, des rites qui l’introduisent dans l’ordre culturel. Le nouveau-né prend ainsi place dans le corps social. Implicitement s’opèrent une reconnaissance et une identification humaine primordiales de celui qui vient au monde : quelqu’un existe.
Le nouveau-né est plus qu’un simple être vivant, un plus qui lui donne “une valeur intrinsèque” : une singularisation dans le monde du vivant, c’est-à-dire une dignité humaine primordiale qui est indissociable du devenir-sujet. Le nouveau-né est un être singulier, animé par le désir de vivre, d’exister, porté par un désir de Soi : processus continu de subjectivation qui fait l’humain, un devenir-sujet “infini”, jamais acquis, car inscrit dans le temps. Toujours un “se faire-Soi” avec les autres en situation concrète : processus d’individuation de chaque être humain à l’opposé d’un processus d’objectivation.
La dignité humaine est, donc, une réalité première. On accueille le nouveau-né comme sujet à part entière.
Inscrit dans le lien social, il est l’héritier d’une histoire familiale, mais aussi d’une histoire collective devenant ainsi responsable de l’héritage de la civilisation et de sa transmission.

L’accueil du nouveau-né est soutenu par le désir de donner vie à un autre être humain, et d’en soutenir la responsabilité. Et cela d’autant plus que le nouveau-né est dans une dépendance primordiale. Son droit d’exister, sa reconnaissance comme sujet reposent sur la “volonté éthique” d’autres humains.
L’accueil est une expérience éthique immédiate : une ouverture radicale à l’Altérité. Elle se fonde sur la reconnaissance d’autrui et de son désir de Soi. L’autre est un “je”, digne d’humanité autant que je le suis.
On peut alors parler d’une disposition intentionnelle éthique “primitive”, de l’ordre du sentiment immédiat.
Une éthique de l’humanité s’éprouve dans cette expérience radicale de l’Altérité. Elle transcende l’expérience finie, les conditions empiriques (barrières culturelles, croyances, conventions sociales, etc.) pour s’ouvrir sur l’infini du sujet.

Ce sentiment éthique vécu lors de cette expérience est sans rapport avec un idéal de conduite, c’est-à-dire une orientation des actes de l’homme en fonction d’une loi morale. Il n’impose, donc, aucune norme, aucun devoir. Il ne garantit aucun droit pour l’autre. Ce qui fait que ce sentiment primitif à l’égard d’autrui peut basculer de la sympathie à l’antipathie (la violence).
Ce sentiment est indépendant à la fois d’un relativisme culturel, et d’un droit naturel. En ce sens, il se caractérise, paradoxalement, par :
— son universalité : accueillir la dignité humaine d’autrui de manière absolue, sans condition. Il n’est soumis à aucune considération empirique relative aux caractéristiques génétiques, raciales, culturelles, etc. Il est, par là, un point d’appui pour une universalisation de l’Éthique au niveau de l’humanité, au-delà de l’enracinement des sujets dans des situations historico-sociales et culturelles.
— sa singularité : dans le sens où il n’y a pas de sujet universel mais des sujets singuliers.
Ainsi ce sentiment éthique immédiat est affranchi des lois et des devoirs. Il n’impose aucune régulation des actes. Il est le plus proche et le plus voilé, occulté, refoulé, tant par ce qui relève de l’histoire individuelle, que par ce qui relève des situations historico-sociales et politiques.

Cependant, ce sentiment éthique vécu nomme le Souverain Bien dans le nom donné au nouveau-né : la dignité humaine de quelqu’un et son devenir-sujet.
La dignité humaine est une vérité pour tous. L’éthique est, ainsi, une éthique de la vérité dont la visée essentielle est le processus, infini en droit, de subjectivation par rapport aux savoirs et pouvoirs établis — dimension de l’hétéronomie dont la tendance extrême est à l’objectivation du sujet singulier.
De ce fait, l’éthique porte un projet oeuvrant contre tout déni de l’Altérité constitutive de la dignité humaine, contre toute objectivation d’un Autre-humain, à savoir le dévalement du sujet en objet.

L’histoire des hommes montre que la dignité humaine peut se perdre, être trahie. On peut porter offense à ce Souverain Bien. Les pratiques technico-scientifiques, l’ordre des pouvoirs politiques, la logique économique peuvent mettre en souffrance le respect de la dignité humaine. L’individu devient, alors, objet possible d’instrumentalisations diverses, moyen et non fin. Au-delà de cette objectivation de l’individu, c’est la démocratie qui est visée.
D’où la nécessité de dispositifs institutionnels juridiques et politiques protégeant l’humain de certains effets de la réalité historico-sociale et politique. Puisqu’il peut être traité comme un objet par la science, trahi par les siens dans le respect de sa dignité humaine, jusqu’à la dépossession de Soi.

Freud dans Malaise dans la civilisation nous dit que la civilisation en demande trop au sujet. Ce trop, qui peut le perdre dans le monde contemporain, s’identifie à l’ordre mondial des nécessités économiques, à la logique des pouvoirs, aux progrès de la technique et de la science.
Ce trop nomme le Mal en cette fin de siècle : “céder sur le sujet, sur le respect de la dignité humaine”, en détournant une expression de J. Lacan.
“Céder sur le sujet”, mène, insidieusement, à traiter l’autre comme objet et, dans sa forme extrême, jusqu’à la dépossession de Soi, à être exclu de son humanité et de l’humanité. L’homme est, alors, dépossédé de ce qui lui est le plus propre : la mémoire de Soi.
L’objectivation du sujet s’apparente à une figure de la mort. On lui retire la “vie-de-Soi”. On le met dans un certain rapport à la “mort-de-Soi” : la souffrance, et la mise en souffrance.

Quel est le coût humain (sans nier l’importance des recherches scientifiques pour l’humanité) de certaines pratiques technico-scientifiques ?
À quelles conditions vais-je continuer à devenir-sujet ? Capable de penser, d’agir, d’aimer, capable de faire de la politique, de créer... dans la société.
Dans ce court espace de temps entre la naissance et la mort, quel Bien vaut pour l’homme ? Celui qui peut permettre d’accéder à la dignité humaine, soutient et restaure le sujet : ni souffrance, ni mise en souffrance de Soi.

L’histoire d’une vie humaine, l’existence, est inscrite dans la temporalité, mais, aussi, dans le champ des possibles d’une situation historico-sociale.
Une vie humaine est un processus continu, ouvert sur l’avenir, d’une multitude d’intégrations (psychologiques, culturelles et sociales) dans une unité subjective singulière et dynamique.
Faire subsister le sujet, respecter son autonomie, son intégrité biologique, physique et psychique, sa liberté, son bonheur de vivre avec les autres dans un mutuel respect est devenu un problème politique, qui prend une envergure extrême, entre autres, en raison des progrès fulgurants de la science. L’homme est un sujet et digne d’être humain depuis la nuit des temps car il est né d’un homme et d’une femme — don de vie, perpétué d’une époque à l’autre, maillon dans la chaîne des civilisations. Fait incontournable qui impose le respect devant la vie. Roc sur lequel s’arrête toute juridiction à la recherche d’un fondement de l’impératif catégorique de notre fin de siècle et du troisième millénaire : l’homme n’est pas un objet, il existe.

Stephan Chédri