mardi 24 juin 2008

Doit-on enseigner la psychanalyse à l’Université ?



Myriam Mitelman


Tel est le titre d’une publication originale de Freud en hongrois, datant de 1919, transcrite pense-t-on par Ferenczi, et dont on trouve une traduction française dans le volume intitulé Résultat, idées, problèmes, tome 1. Ce court texte, qui a maintenant 89 ans, est d’une actualité troublante.

Freud y examine les relations entre la psychanalyse et l’Université à partir de deux points de vue:


1. Que peut attendre la psychanalyse de l’Université ? Rien, répond Freud. L’apprenti analyste trouvera dans la littérature spécialisée et dans les réunions scientifiques des sociétés de psychanalyse ce dont il a besoin sur le plan théorique. Son expérience pratique, elle, se développera au cours de son analyse personnelle et dans les cures qu’il mènera, à condition qu’il s’assure du contrôle de psychanalystes confirmés.


2. 0ue peut attendre l’Université de la psychanalyse ? Freud se préoccupe ici surtout de la formation des médecins, fondée sur le seul apprentissage de disciplines techniques telles l’anatomie, la physique et la chimie, et négligeant l’importance des facteurs mentaux.

La conséquence en est en premier lieu le manque d’intérêt des médecins pour les problèmes de l’existence. Ce point est à l’origine d’un défaut de structure dans la prise en charge médicale – défaut qui constatons-le ne cesse de s’accentuer depuis 1919 – et qui «rend le médecin maladroit dans le traitements des patient, auprès desquels même les charlatans et les guérisseurs obtiennent de meilleurs résultats que lui ».


Tableau plutôt désastreux, qui laisse espérer que l’on pourrait attendre beaucoup de l’introduction de la psychanalyse dans la formation universitaire. Mais Freud ne va pas dans ce sens. Après quelques considérations sur les connexions de la psychanalyse avec l’art, la philosophie et la religion, ses capacités à éveiller l’esprit des étudiants à un champ plus vaste que celui des disciplines techniques traditionnelles, Freud imagine ce que serait la mise en place concrète d’un enseignement de la psychanalyse : des cours sur la théorie bien sûr, assortis de possibilités de recherche dans le cadre d’un département de consultations externes, et d’un service fermé pour la psychiatrie analytique.

Et il conclut ainsi :

« Selon ces lignes directrices, l’étudiant en médecine n’apprendra jamais la psychanalyse proprement dite. Cela est tout à fait vrai si l’on entend par là la pratique effective de la psychanalyse. Mais, par rapport aux objectifs qui nous intéressent, il sera bien suffisant qu’il apprenne quelque chose sur la psychanalyse et quelque chose venant de la psychanalyse. »


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Ces considérations sur l’enseignement de la psychanalyse à l’Université sont-elles toujours valables ? C’est la question que je vous propose d’examiner en interrogeant l’opposition que semble marquer Freud entre «apprendre quelque chose sur » et «apprendre quelque chose venant de » la psychanalyse.


J’ai la charge d’un enseignement pratique (des travaux dirigés) à la Faculté de Psychologie de Strasbourg, où je tente, pour des étudiants de Master 2, de transmettre en quatre fois deux heures de quoi est faite la pratique en milieu médical d’une psychologue qui serait par ailleurs le produit de l’orientation lacanienne.

Il s’agit à la fois de proposer aux étudiants une approche des concepts lacaniens et de rendre compte de la manière dont mon travail hospitalier s’articule et se transmet par le truchement de ces concepts. J’explicite les concepts en question, puis les rapporte à la clinique, et je ne cesse de passer et de repasser de l’un de ces pôles à l’autre.


Pour reprendre le propos de Freud, qu’est-ce que j’apprends aux étudiants « sur » la psychanalyse ? Et par ailleurs, apprennent-ils quelque chose « venant d’elle » et quelle est alors la nature de cette chose ? « Apprendre sur » pourrait qualifier l’action d’un sujet extérieur à la psychanalyse, qui examinerait du dehors ce qu’elle est. Tandis que « venant de » profile la perspective d’un point d’où émanerait quelque chose qui sollicite, qui appelle le sujet.


Qu’apprennent les étudiants ? Ils ont un aperçu sur des théories, des constructions, des définitions. Le grand graphe de Lacan se révèle une source inépuisable d’interrogations. Les quadripodes des quatre discours de l’Envers de la psychanalyse font naître des questions sans fin… ainsi, souvent que des réponses et des développements sans fin ! Plus d’une fois, la curiosité et l’intérêt des étudiants à l’endroit de ces schémas nous ont fait perdre de vue, à eux tout comme à moi, que nous étions dans le cadre d’un module pratique. Les travaux dirigés se dirigent comme d’un mouvement spontané vers le savoir… « apprendre sur »la psychanalyse.


Dans ce cas, ce qui« viendrait de « la psychanalyse, serait-ce l’expérience dont témoigne un praticien à l’Université? J’essaie d’indiquer à mes interlocuteurs et futurs collègues par quels biais je rapporte les éléments théoriques à une clinique hospitalière, et par quels biais les interrogations de la théorie inspirent inversement ma pratique.

En formalisant ainsi à l’usage des étudiants l’exercice professionnel du psychologue d’orientation lacanienne dans un service de médecine, je confectionne un savoir transmissible, qui va immédiatement se ranger sous la rubrique de ce que l’on « apprend sur », faisant s’évanouir la perspective de ce qui « viendrait de » la psychanalyse.


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Les étudiants en psychologie, dont les programmes comportent par ailleurs les enseignements cognitivistes, ceux de la psychologie du développement et de la psychologie expérimentale entre autres, disent parfois que tous les savoirs se valent. Aucun savoir en effet ne porte en lui la marque de ce qu’il vaut vis-à-vis des autres savoirs. Aussi bien le savoir sur la psychanalyse.


Il arrive à l’occasion de nos rencontres que certains étudiants viennent à témoigner du sentiment que la théorie se noue à la clinique. Je fais la supposition que cela traduit que quelque chose venant de la psychanalyse s’est produit, est passé, qui n’a pas été d’emblée amorti, récupéré sous forme de savoir. Ce quelque chose venant de la psychanalyse, je ne le définirai pas plus, pour notre propos d’aujourd’hui, que comme un point qui n’est pas de savoir, mais qui rend le savoir crédible.

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