dimanche 27 juillet 2008

la peau de l'ours

Les psychiatres et l'arrêté...

Je juge particulièrement significative cette prise de position des principales organisations de psychiatres à propos du projet d'arrêté venant en complément de l'article 52:


25/07/2008

Communiqué :

Position
de la majorité des organisations
représentatives des psychiatres,
sur
les projets de textes concernant l’usage du titre de psychothérapeute

Les psychiatres soussignés, représentant des syndicats, des associations ainsi que différentes instances concernées par la formation et la qualification dans leur discipline, souhaitent exprimer et justifier leur désaccord avec le projet « d’arrêté relatif au cahier des charges de la formation conduisant au titre de psychothérapeute ».
Leurs critiques portent sur les points suivants :
• La formation pratique - cinq mois de stage - est dérisoire, non seulement du fait de sa brièveté, mais également de l’absence de toute indication sur ses modalités pédagogiques : encadrement, supervisions, contrôles, prises de responsabilités…
L’indigence d’une telle formation pratique, au regard de la préparation clinique des futurs psychiatres (prévoyant huit semestres de stage en situation de responsabilité diagnostique et thérapeutique) est en contradiction avec l’esprit initial de la loi visant à interdire l’exercice de la psychothérapie à des personnes incompétentes et par là potentiellement dangereuses.
• Le « catalogue » des connaissances théoriques, déroulées en 400 heures par le projet d’arrêté, soucieux de respecter les apparences de l’exhaustivité et de la diversité des concepts, ne saurait faire illusion. Le législateur serait mal inspiré de réduire les sciences de l’esprit et les courants de pensée qui traversent la psychopathologie à un tel bric à brac.
Il tromperait le public en laissant croire que l’usager informé par son « psychothérapeute » serait en mesure d’y faire un quelconque choix.
Les réalités du lien psychothérapique sont d’une toute autre complexité, que ce projet ignore totalement.
• La récupération sur le plan réglementaire de l’usage du titre de psychothérapeute à des fins de planification économique du soin psychique n’apparaît plus comme un risque, mais comme un projet délibéré.
Le « psychothérapeute » s’y inscrit comme le maillon d’un système de sous-traitance « low cost » de toute souffrance psychique. Dans un tel système, le psychiatre se verrait réserver le rôle d’expert, prescrivant au besoin des psychothérapies dont il n’aurait pas lui-même la pratique.
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Les médecins signataires, spécialistes en psychiatrie, s’opposent fermement à l’idée de création d’un corps de psychothérapeutes dont la formation pratique serait purement symbolique, et les connaissances théoriques en matière de psychothérapie, du niveau d’une simple information.

Tout au long des multiples concertations qui ont pu avoir lieu à ce sujet, les mêmes psychiatres ont toujours soutenu la même position, à savoir que l’acte psychothérapique est indissociable d’une formation clinique et de connaissances théoriques approfondies de plusieurs années.
Ils ne voient pas en quoi le public pourrait « bénéficier » d’une déqualification de fait des psychothérapies assurées par les professionnels du soin psychique actuellement reconnus et formés en conséquence.
Il en résulterait alors qu’une loi prévue au départ pour réduire les risques d’exposition du public à l’action de « psychothérapeutes » non formés, aurait au contraire l’effet pervers d’instituer toutes les conditions trompeuses d’une formation insuffisante pour offrir une garantie de santé publique décente.

Professeur Michel PATRIS
Président de la Commission de Qualification en Psychiatrie
du Conseil National de l’Ordre des Médecins
Docteur Piernick CRESSARD
Membre du Conseil National de l’Ordre des Médecins
Ancien Président de la Section Ethique et Déontologie
Docteur Olivier LEHEMBRE
Président de la Fédération Française de Psychiatrie
Docteur Michel BOTBOL
Président de l’Association des sociétés françaises
membres de l’Association mondiale de psychiatrie
Docteur Olivier BOITARD
Président du Comité d’Action Syndical de la Psychiatrie
Professeur Thierry BOUGEROL
Président du Syndicat Universitaire de Psychiatrie
Professeur Jean-François ALLILAIRE
Pour le Collège National Universitaire de Psychiatrie
Docteur Pierre FARAGGI
Président du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
Docteur Nicole GARRET-GLOANEC
Présidente de la Société de l’Information Psychiatrique
Docteur Roger SALBREUX
Président du Syndicat des Médecins Psychiatres des Organismes Publics,
Semi-publics et Privés
Docteur Olivier SCHMITT
Président du Syndicat National des Psychiatres Privés
et de l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé
Docteur Jean-Jacques LABOUTIERE
Président d’honneur de l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé
Professeur Bernard GIBELLO
Président de l’Association Française de Psychiatrie
Docteur Jean-Pierre CAPITAIN
Président du Syndicat des Psychiatres Français
Docteur François KAMMERER
Vice-président d de l’Association Française de Psychiatrie
Vice-président du Syndicat des Psychiatres Français

mardi 24 juin 2008

traversée

Doit-on enseigner la psychanalyse à l’Université ?



Myriam Mitelman


Tel est le titre d’une publication originale de Freud en hongrois, datant de 1919, transcrite pense-t-on par Ferenczi, et dont on trouve une traduction française dans le volume intitulé Résultat, idées, problèmes, tome 1. Ce court texte, qui a maintenant 89 ans, est d’une actualité troublante.

Freud y examine les relations entre la psychanalyse et l’Université à partir de deux points de vue:


1. Que peut attendre la psychanalyse de l’Université ? Rien, répond Freud. L’apprenti analyste trouvera dans la littérature spécialisée et dans les réunions scientifiques des sociétés de psychanalyse ce dont il a besoin sur le plan théorique. Son expérience pratique, elle, se développera au cours de son analyse personnelle et dans les cures qu’il mènera, à condition qu’il s’assure du contrôle de psychanalystes confirmés.


2. 0ue peut attendre l’Université de la psychanalyse ? Freud se préoccupe ici surtout de la formation des médecins, fondée sur le seul apprentissage de disciplines techniques telles l’anatomie, la physique et la chimie, et négligeant l’importance des facteurs mentaux.

La conséquence en est en premier lieu le manque d’intérêt des médecins pour les problèmes de l’existence. Ce point est à l’origine d’un défaut de structure dans la prise en charge médicale – défaut qui constatons-le ne cesse de s’accentuer depuis 1919 – et qui «rend le médecin maladroit dans le traitements des patient, auprès desquels même les charlatans et les guérisseurs obtiennent de meilleurs résultats que lui ».


Tableau plutôt désastreux, qui laisse espérer que l’on pourrait attendre beaucoup de l’introduction de la psychanalyse dans la formation universitaire. Mais Freud ne va pas dans ce sens. Après quelques considérations sur les connexions de la psychanalyse avec l’art, la philosophie et la religion, ses capacités à éveiller l’esprit des étudiants à un champ plus vaste que celui des disciplines techniques traditionnelles, Freud imagine ce que serait la mise en place concrète d’un enseignement de la psychanalyse : des cours sur la théorie bien sûr, assortis de possibilités de recherche dans le cadre d’un département de consultations externes, et d’un service fermé pour la psychiatrie analytique.

Et il conclut ainsi :

« Selon ces lignes directrices, l’étudiant en médecine n’apprendra jamais la psychanalyse proprement dite. Cela est tout à fait vrai si l’on entend par là la pratique effective de la psychanalyse. Mais, par rapport aux objectifs qui nous intéressent, il sera bien suffisant qu’il apprenne quelque chose sur la psychanalyse et quelque chose venant de la psychanalyse. »


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Ces considérations sur l’enseignement de la psychanalyse à l’Université sont-elles toujours valables ? C’est la question que je vous propose d’examiner en interrogeant l’opposition que semble marquer Freud entre «apprendre quelque chose sur » et «apprendre quelque chose venant de » la psychanalyse.


J’ai la charge d’un enseignement pratique (des travaux dirigés) à la Faculté de Psychologie de Strasbourg, où je tente, pour des étudiants de Master 2, de transmettre en quatre fois deux heures de quoi est faite la pratique en milieu médical d’une psychologue qui serait par ailleurs le produit de l’orientation lacanienne.

Il s’agit à la fois de proposer aux étudiants une approche des concepts lacaniens et de rendre compte de la manière dont mon travail hospitalier s’articule et se transmet par le truchement de ces concepts. J’explicite les concepts en question, puis les rapporte à la clinique, et je ne cesse de passer et de repasser de l’un de ces pôles à l’autre.


Pour reprendre le propos de Freud, qu’est-ce que j’apprends aux étudiants « sur » la psychanalyse ? Et par ailleurs, apprennent-ils quelque chose « venant d’elle » et quelle est alors la nature de cette chose ? « Apprendre sur » pourrait qualifier l’action d’un sujet extérieur à la psychanalyse, qui examinerait du dehors ce qu’elle est. Tandis que « venant de » profile la perspective d’un point d’où émanerait quelque chose qui sollicite, qui appelle le sujet.


Qu’apprennent les étudiants ? Ils ont un aperçu sur des théories, des constructions, des définitions. Le grand graphe de Lacan se révèle une source inépuisable d’interrogations. Les quadripodes des quatre discours de l’Envers de la psychanalyse font naître des questions sans fin… ainsi, souvent que des réponses et des développements sans fin ! Plus d’une fois, la curiosité et l’intérêt des étudiants à l’endroit de ces schémas nous ont fait perdre de vue, à eux tout comme à moi, que nous étions dans le cadre d’un module pratique. Les travaux dirigés se dirigent comme d’un mouvement spontané vers le savoir… « apprendre sur »la psychanalyse.


Dans ce cas, ce qui« viendrait de « la psychanalyse, serait-ce l’expérience dont témoigne un praticien à l’Université? J’essaie d’indiquer à mes interlocuteurs et futurs collègues par quels biais je rapporte les éléments théoriques à une clinique hospitalière, et par quels biais les interrogations de la théorie inspirent inversement ma pratique.

En formalisant ainsi à l’usage des étudiants l’exercice professionnel du psychologue d’orientation lacanienne dans un service de médecine, je confectionne un savoir transmissible, qui va immédiatement se ranger sous la rubrique de ce que l’on « apprend sur », faisant s’évanouir la perspective de ce qui « viendrait de » la psychanalyse.


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Les étudiants en psychologie, dont les programmes comportent par ailleurs les enseignements cognitivistes, ceux de la psychologie du développement et de la psychologie expérimentale entre autres, disent parfois que tous les savoirs se valent. Aucun savoir en effet ne porte en lui la marque de ce qu’il vaut vis-à-vis des autres savoirs. Aussi bien le savoir sur la psychanalyse.


Il arrive à l’occasion de nos rencontres que certains étudiants viennent à témoigner du sentiment que la théorie se noue à la clinique. Je fais la supposition que cela traduit que quelque chose venant de la psychanalyse s’est produit, est passé, qui n’a pas été d’emblée amorti, récupéré sous forme de savoir. Ce quelque chose venant de la psychanalyse, je ne le définirai pas plus, pour notre propos d’aujourd’hui, que comme un point qui n’est pas de savoir, mais qui rend le savoir crédible.

mardi 18 mars 2008

soirée dacquoise

Soirée des Cartels Dax le Lundi 15 octobre 07

C’est après beaucoup de réflexion que je me décide à essayer de retranscrire les effets produits lors de cette soirée.

Il m’est évident qu’un témoignage qui arrive si tard n’a que très peu, voire pas d’intérêt du tout. Alors pourquoi le faire ?

Mettre en évidence la complexité des textes de Lacan, la vigueur du cartel et de ses points d’impasse, les contrecoups des questions …. Tout simplement la mise en lettre d’une grande envie de participer à cette expérience qu’est le cartel.

Voici donc comment j’ai vécu cette réunion.


Soirée extrêmement dense, où le produit du travail individuel et collectif du cartel dacquois, en phase avec le cartel de Bordeaux sur le séminaire d’Un Autre à l’autre, a été tellement riche qu’il aurait fallu plusieurs soirées pour venir à bout des thèmes que chacun souhaitait aborder.

Ne faisant partie ni de l’un ni de l’autre, c’est en tant que lecteur de Lacan directement concerné par la psychanalyse, l’analyse, que je suis venu.

Lire Lacan en solitaire, en extraire l’alcool, hors de portée pour moi, la solution est de participer au collège clinique. C’est pourquoi en 2006 2007 j’ai suivi la formation au collège clinique de Bordeaux sur ce séminaire.

Pour suivre ma pensée il faut que je pose certains repères que j’ai saisi lors du premier rendez-vous avec Lacan.

Lacan nous a été présenté avec un passé. Passé d’étudiant ayant suivi les cours du philosophe Kojève, cours qui l’ont profondément marqué dans son œuvre et sa vie, le Désir et ou Le discours du maître.

Les questions sur le désir ont très vite surgi de façon claire ou plus voilée ; la délocalisation de la jouissance, le langage….. désir, ah désir quand tu nous tiens, désir de savoir, de comprendre, de jouir…….

Pourquoi ne pas essayer d’aborder cela, avec comme angle de perception, ce fameux rapport du maître et de l’esclave, Pascal, avec son pari mise sur l’existence de Dieu (ou sur le rien), La Boétie dans la ‘’Servitude volontaire’’ posait lui aussi la question de l’aliénation du sujet et des mécanismes que celui-ci utilise pour la soutenir. Je crois que c’est là que Lacan, dans son génie et l’utilisation qu’il fait « du discours du maître », retourne le discours non plus du maître vers l’esclave mais vers un sujet qui ne serait esclave que de sa propre jouissance. Et c’est là qu’il met à jour, qu’il détricote le tissu de l’existence en utilisant ce qui relie qui unit le voile recouvrant le trou d’un savoir insupportable, fruit de ce que chacun d’entre nous aura vécu, différemment et toujours pareil, et ceci depuis la première bouffée d’oxygène. L’objet (a) est là pour conduire celui qui accepte d’en reconnaître la place et sa propre aliénation, provoquant une dépendance du sujet grâce à un plus-de-jouir (belle démonstration avec Marx pour sa plus-value). Il y a là me semble t-il la relation du maître et de l’esclave. Maître et esclave une relation entre deux concepts, quelque chose qui migre d’un vers l’autre, d’un Autre vers l’autre, Une fois ne suffit pas, il faut que la chose se répète que le sujet y trouve son compte, son plus-de-jouir, jouissance mortifère, S1 S2, le bal des signifiants peut commencer, le plus-de-jouir est comme la musique sitôt qu’elle s’arrête c’est le silence et le vide, impossible à saisir, il faut recommencer, répéter.

Ces quelques lignes sont tellement réductrices, je le sais, mais suivre Lacan dans cette métaphore du discours du maître et de l’esclave, c’est aussi cerner dans la structure du sujet un manque , la réalité d’une carence, d’un état carentiel du sujet, et sa façon de libidinaliser cette carence. Je suis un être en carence, donc castré, mon seul savoir est celui-là.

S’inscrire dans ce savoir là, le travailler avec tout ce que cela implique, participer à un cartel, ceci est peut être tout simplement une lettre de motivation .


Christian Dupouy


dimanche 10 février 2008

l'ombre de l'ombre d'une idée, même.

...surfer sur la vache folle ...

La répétition, ici, aujourd' hui? Une forme de protestation, sehr geherten Professor Freud; c'est-à-dire, eh oui, même constat, on en prend d'autres, et l'on continue, l'on approfondit...



(Didier Kuntz 21 Juin 1996)


Quelques semaines sans s’informer sont sans doute une folie que l’on peut rarement se permettre à notre époque, il n’en reste pas moins qu’il est impossible d’être totalement coupé des images et rumeurs ; le passé récent ressemble alors à l’un de ces rêves mauvais, particulièrement oiseux, pas loin du cauchemar, dont on se souvient parfois après un sommeil de plomb . Comme les rêves, cela s’analyse, cela révèle les désirs et complexes cachés, il est particulièrement tentant de mettre en rapport les bribes restantes et d’associer librement, pour voir où ça mène ... si cela permet de mettre au jour une organisation cachée, une cohérence subliminale aux charmes surréalistes ...

Alors avant de partir en vacances, encore quelques petits mots sérieux pour lever le nez des copies d’examens avant que la publication des résultats en ait à nouveau rompu le charme.

Ce dont il me souvient, donc, après ces quelques semaines loin des médias, c’est un melting-pot tournant autour des vaches folles, un vrai délice de cuisine politique française, pas loin de la sarabande de sorcières; l’austérité seule des objets en cause nous sépare du délire érotique que toute cette histoire évoque à tour de bras .

Ainsi donc quelque chose d’imprécis a changé en France depuis les lustres du nouveau pouvoir, nouvelles méthodes, nouveaux moyens, comme il se doit, puisque la sémantique permet d’appréhender la pensée collective, pourquoi ne pas gouverner à l’aide du déplacement freudien ? Ainsi avons-nous vu les Français dupés de ce tour de passe-passe qui est venu sublimer la vache enragée en vache folle: autres mots, autres remèdes . S’il n’est pas facile de leur proposer autre chose à bouffer, on peut du moins leur retirer la viande du plat .

Il n’est pas difficile de constater la surdétermination qui fait de la vache folle un chiasme où viennent se croiser les fils conducteurs de la vie politique et de souligner comment son traitement forme un véritable remède de cheval pour les calamités qui nous rongent . Soit dit en passant, qui s’étonnera que la métaphore se joue sur le terrain agricole, puisqu’elle est destinée à stigmatiser le style du président Chirac, qui a testé autrefois sur ce terrain les méthodes d’action avec lesquelles il a longtemps séduit l’opinion ? Ces méthodes, nous devons en saluer le charme poétique, puisqu’elles tirent leur incontestable efficace du travail du verbe dans les images collectives...

Passant de la vache folle à la vache enragée, celle-ci faisant oublier celle-là, on soulignera le lien subjacent entre l’apparition de la rage bovine et la baisse des crédits perpétuellement reconduite de l’Institut Pasteur, auquel je dois une partie pas nécessairement négligeable de ma formation, ce qui est une raison suffisante pour dénoncer l’inefficacité de la baisse de crédit pour en améliorer le rendement: on voit là clairement un résultat . Si l’économie réalisée a pu permettre de financer les balles avec lesquelles les vaches ont été spectaculairement abattues, on remarquera également que la prévention ainsi réalisée permet une solide économie en amont du déficit à venir de la sécurité sociale . La suppression des lits a vraisemblablement atteint sa limite, surtout en ce qui concerne ceux des hôpitaux psychiatriques, comme en témoigne l’apparition de cette histoire proprement délirante .

Puisque maintenant les vétérinaires font de la prévention à l’aide des tireurs d’élite que leur a adjoint une armée en pleine mutation, -au moins là on en a pour son argent-, je profite de la transition pour parler de la prévention du sida . L’on n’imagine pas à quel point sont proches ces thématiques, si l’on oublie la proximité phonématique des vaches avec le V.I.H.; que voilà donc un traitement de rêve (et je pèse mes mots), pour un problème dont on ne voit pas le bout, puiqu’il y a, paraît-il, des difficultés à se suffire d’un numéro vert pour résoudre le problème: pourquoi alors ne pas en fonder un deuxième ?

Un monceau de cadavres de vaches empilées, rassemblées à renfort de bulldozer, des vaches menées au bull-dozer, voyez comment l’on vous montre la vache menée au taureau, comme est morbide la métaphore qui adjoint à la vache une rustaude mécanique humaine; et comme il n’y a qu’un pas du bulldozer au taureau, du taureau à la vache, de la vache au V.I.H., du V.I.H. à l’homme, et de l’homme au singe vert: métaphore d’amour et de mort où la vache a fini de rire . Cela est-il destiné à nous signifier qu’il vaut mieux abattre que de se laisser abattre ? A moins qu’il s’agisse, en matière d’amour, d’un phantasme d’abattage ?

Toujours est-il qu’avec les vaches anglaises est arrivée tout naturellement la question de l’origine . Les psychanalystes savent depuis longtemps quel lien cette question entretient avec le phantasme primordial où le sujet imaginarise sa propre apparition . Pour en revenir à la surface du problème, puisque je suis dans l’étendue, (pour ne pas dire dans les temps durs), il faut remarquer qu’aucun doute ne saurait entacher l’origine française même bovine, et que l’anglais a longtemps été, dans l’imaginaire français, la figure ambivalente de l’ennemi auquel on s’allie de temps à autre depuis la guerre de cent ans, en un mot le rival amoureux . Il suffit de remarquer les défenses que mobilise l’immixtion des langues, pour faire oublier le rapport particulier, si ambigu, du chef de l’état actuel à l’Angleterre, ce qui est au fond assez gaullien . Qu’on tue donc les vaches anglaises pour garantir les nôtres ...

Or donc, depuis peu, chez mon épicier arabe, est apparu ce panonceau stupéfiant, qui garantit l’origine purement française de la viande de boeuf ! Quand je dis épicier arabe, j’ai d’ailleurs l’impression de commettre un pléonasme, qui est la seule alternative à la concentration des chaînes de distribution alimentaire . Ce panonceau a le mérite de remettre à sa vraie place la garantie de l’origine; seul un électrochoc de cette nature peut déplacer la folie de l’origine, du moins pour un temps: l’emploi des électrochocs en psychiatrie, lorsqu’on ne fait plus confiance aux vertus de la parole, a mis en évidence le peu de cas qu’on y fait du sujet, pour qui c’est toujours une meurtrissure de plus ... Et l’on en vient à se demander si cette rhétorique de pouvoir n’est pas plus dangereuse qu’un traitement symptomatique des problèmes, où l’on ne chercherait pas à les résoudre par le cadavre exquis des vaches transformées en boucs émissaires des angoisses françaises . La méthode est efficace et assez charmante pour calmer les esprits en leur offrant un support imaginaire incontestablement adéquat, puisqu’il exorcise jusqu’aux vieux échos de mort-aux-vaches en les figurant dans une mise en scène somptueuse (pour ne pas commettre un somp-tueuse), mais elle ne s’attaque pas à la cause du malaise dans la société, -il faut bien laisser une petite chose aux analystes, n’est-ce pas ?


La France d’aujourd’hui, lorsqu’on scanne sa rumeur, semble bien gouvernée par un émule de Frédéric Dard; on ne contestera pas que c’est préférable à la politique du père Ubu: l’image des coups assenés n’est sans doute pas moins ravageur que les coups eux-mêmes, objectera-t-on; la pensée qui s’insinue en moi me dit que l’image de coups est plus évocatrice pour celui qui en a été la victime . Et peut-on encore se permettre une mauvaise pensée dans un pays terrassé de trous, infecté de peste brune, mais aussi en pleine révolution rampante ?


mardi 8 janvier 2008

idéal...

Le psychanalyste idéal

par Laurent Le Vaguerèse

C’est un homme dans la force de l’âge comme on ne dit plus. Cela pourrait-il être une femme ? Je ne sais pas. Il est certes le plus souvent parisien, mais il peut aussi habiter une ville de province à condition qu’une université lui ait ouvert ses portes. La rive gauche lui convient assez bien. Une pointe d’accent étranger aussi. Il parle avec une certaine affectation, mais sans excès. Il a derrière lui une longue carrière universitaire. Il parle allemand couramment et lit Freud dans le texte. Bien sûr il a une connaissance approfondie de l’hébreu et du grec ancien dont il orne ses écrits, négligeant le plus souvent d’en donner une traduction. Chez lui, tout est calme luxe et volupté… et silence sauf lorsqu’il écoute de la musique classique. Au mur, on aperçoit quelques tableaux anciens et d’autres modernes qu’il vient d’acquérir car il fréquente les galeries. La littérature est son domaine et son dernier article porte précisément sur un ouvrage dont seules quelques personnes avec lui, dont ses intimes auxquels il a parlé lors d’un dîner, ont eu connaissance. L’argent ne l’intéresse pas et d’ailleurs ses tarifs sont si variables que même le plus démuni peut s’adresser à lui. Il lui donne volontiers la priorité lorsque la salle d’attente est pleine ce qui stupéfie et irrite quelque peu ses autres analysants ainsi que les nombreux analystes qu’il a en contrôle et qu’il fait patienter. Il tient un séminaire tous les 15 jours dans une salle que son association met à sa disposition. Durant les séances, il est le plus souvent muet, cultivant le désêtre à la perfection. Parfois il lâche un soupir, un borborygme, ou bien une phrase dont lui seul possède la clé. Il a écrit de nombreux ouvrages et possède lui-même une bibliothèque remplie de livres rares. Il ne prend que rarement des vacances car celles-ci sont occupées par des congrès à l’étranger où il occupe une place officielle. Il n’est jamais malade et se demande parfois en soupirant s’il mourra un jour.

Ne cherchez pas à mettre un nom sur ce portrait imaginaire, cet homme, cette femme n’existe pas. Ou du moins, n’est-il que partiellement incarné dans tel ou tel rescapé de la période héroïque. Il a cependant vécu longtemps dans la tête de certains de mes collègues de la génération post 68 et sans doute aussi dans la mienne. En ces temps anciens, aujourd’hui voués aux gémonies, les facultés de Censier, de Vincennes, de Nanterre produisaient un nombre considérable d’étudiants en psychologie formés par des psychanalystes et qui rêvaient de ressembler au portrait que l’on vient de décrire. Ils étaient accompagnés par des étudiants en médecine qu’ils côtoyaient au séminaire de Lacan, de Barthes, de Foucault, de Mannoni, Leclaire, Safouan, Lebovici, Diatkine, Clavreul, Dolto et de bien d’autres encore. Belle époque s’il en fut et qui sans doute, dans le paysage d’une France sarkobruniesque a de quoi faire naître une certaine nostalgie.

Le quotidien de tous ces jeunes gens, s’il était ainsi enluminé, n’était pas rose pour autant car ils devaient se coltiner les dispensaires de banlieue, les hôpitaux psychiatriques aux structures moyenâgeuses, les trains de province qui les emmenaient au fin fond de la France profonde. Quant à leurs rémunérations, elles ne gonflaient pas vraiment leur compte en banque. Parfois ils s’arrangeaient avec les salaires de misères que l’administration leur accordait chichement en passant des accords furtifs avec tel ou tel responsable. On faisait un peu moins d’heures que celles marquées au contrat. Cela payait le train et les longues heures de transport. Beaucoup en avaient honte mais préféraient cette supposée clandestinité, cette marginalité apparente à celle d’un statut social correct et reconnu. Comment comprendre cette attitude sinon en tenant compte de la distance sidérale qu’ils pouvaient alors percevoir entre leur situation et celle de cet analyste idéal qui leur emplissait la tête. Se battre pour de meilleures conditions de travail et de rémunération ? Inscrire ces avancées dans le marbre d’un contrat ? Il aurait fallu pour cela redescendre les quelques marches qu’ils avaient semblé gravir vers les sommets de l’analyste idéal. Etre dans cette pseudo marginalité, dans cette situation précaire, leur apparaissait susceptible de les rapprocher de ce qu’ils croyaient être la nature même de la pratique psychanalytique, pratique qu’ils pensaient confusément dévoyer en se coltinant le social, en étant analystes loin du cadre de la cure classique, loin de l’image et du statut auquel ils assimilaient peu ou prou la pratique analytique.

Peu à peu, c’est pourtant cette figure de l’analyste qui s’est imposée dans la réalité, aux antipodes de cette figure mythique. Il en est résulté une vivification des structures de soins ainsi que des structures sociales, de tout ce qui concerne la pensée dans ce pays. Aujourd’hui, cette génération laisse peu à peu la place à la suivante dans un paysage marqué par le recul de la pensée et par la mise à mal des accords verbaux qui faisaient que malgré un salaire horaire ridicule, la vie était quand même possible. Désormais, le psychanalyste est le plus souvent dans cette position de l’intellectuel précaire si bien décrit dans un livre récent. Il n’a guère le temps pour apprendre le grec ou l’hébreu, mais il a une connaissance de la réalité sociale que leurs aînés étaient loin de posséder. Ils représentent aujourd’hui la psychanalyse dans sa réalité, plongée dans le social, l’éducatif, les consultations pour enfants en déshérence, les placements en famille d’accueil, etc. Il est familier de la réalité virtuelle d’Internet, du Mp4 et des jeux vidéos, de l’herbe et de la violence dans les lycées et les banlieues. Il subit comme chacun et s’interroge aussi sur l’immigration et se frotte à des cultures qu’il ignorait jusque-là. Bref, il se coltine la misère sociale dans toutes ses composantes et lui-même s’en trouve marqué. Certes la pratique libérale n’a pas disparu, certes on peut encore faire une analyse trois ou quatre fois par semaines et espérons que cela sera encore possible longtemps. Mais la figure du psychanalyste a profondément changé. Elle s’est aussi enrichie de connaissances et de problématiques nouvelles tout de même assez éloignées, en particulier au niveau du cadre, de la cure classique. Les débats dans les colloques et les revues commencent timidement à faire état de ce savoir. C’est aux uns et aux autres que le site oedipe s’adresse pour que le nouage puisse se faire entre les générations. Car c’est aussi cela, la transmission de la psychanalyse.

Laurent Le Vaguerèse